Les Français jouent gros ! loto - grattage – PMU – paris sportifs - 46 milliards en 2012 - Les Français sont joueurs, on le sait. C’est pourquoi nous vous proposons régulièrement des articles sur ce sujet. Ils sont de grands amateurs de jeux d’argent et ce penchant ne fait qu’augmenter au cours du temps, en particulier depuis l’an 2000. Qui n’a jamais rêvé de décrocher le gros lot et de tout plaquer pour vivre comme il l’entend ?
Combien misent les joueurs chaque année ?
L'étude des jeux en ligne menée par l'ODJ
Quid des casinos en ligne non réglementés ?
Le cas particulier des jeux sur les réseaux sociaux
Les joueurs les plus accros ne sont pas en ligne
Combien misent les joueurs chaque année ?
Grâce au N° 1493 d’avril 2014 d’Insee Première (une publication gratuite de l’Insee qui présente des études économiques en quatre pages), nous disposons désormais de chiffres qui nous permettent de mieux appréhender les montants engagés par nos compatriotes dans les jeux de la Française des Jeux, au PMU, dans les casinos mais aussi dans les jeux d’argent en ligne autorisés depuis mai 2010.
Les sommes consacrées par les Français aux jeux d’argent sont considérables : rien que pour l’année 2012, les mises ont atteint 46,2 milliards d’euros, soit en gros le budget de l'Education Nationale ! On note une progression des mises de 76 % entre les années 2000 et 2012. Ce montant représente 0,8 % du budget consommation des ménages français en 2012. A titre de comparaison, en 1990, cette part n’était que de 0,6 %.
Mais alors plus concrètement, à combien se montent les mises annuelles par joueur ? Si on se base sur les estimations du Ministère des Finances, qui considère que la moitié des adultes tente sa chance au moins occasionnellement, la mise moyenne par joueur approche les 2 000 euros par an, soit près de 1,4 SMIC brut par an ou 170 euros par mois…
Heureusement, les joueurs récupèrent une partie de ces mises sous forme de gains. Il faut donc regarder le Produit Brut des Jeux des opérateurs, le PBJ. Celui-ci est la différence entre les mises et les rétributions versées par l'opérateur aux joueurs. C'est donc la part des mises empochées par les sociétés de jeu. Les chiffres donnent 9,5 milliards d’euros, soit un coût moyen de 400 euros par joueur et par an, soit encore moins de 35 euros par mois par joueur… ce qui semble nettement plus raisonnable !
Et pourtant, il ne s’agit que d’une moyenne. En fait, le Dr Thomas Amadieu souligne dans sa thèse que « 80 % des gains sont redistribués de façon inégalitaire. Au final, la plupart des gens qui misent ne gagnent que des petits lots. Sur l’année, pour tous ces joueurs-là, les pertes se rapprochent plus de 2 000 € que de 400. »
Toujours est-il que la plupart des Français restent convaincus que la chance est toujours possible et s’ils acceptent parfaitement le fait qu’ils ne feront pas fortune grâce à leur emploi, ils jouent raisonnablement pour tenter de remporter un gain exceptionnel ! C’est dans cette optique que les différents opérateurs ont développé et diversifié leur offre de jeux et qu’ils ont augmenté la part rétrocédée aux joueurs. Comme les perspectives de gains sont nettement plus élevées depuis 2010, le secteur a été dynamisé et l’engouement généré par les jeux de hasard n’en est devenu que plus fort...
C’est la FDJ qui récolte l’essentiel de la dépense (40 %) devant le PMU (entre 25 et 30 %) et les casinos (23,2 %). Les 7,1 % restant sont consacrés aux jeux en ligne. Penchons-nous un peu plus en détail sur ces quatre acteurs très différents...
La Française des Jeux
La Française des Jeux (FDJ) est, avec le PMU, l’un des opérateurs historiques. Elle a remplacé le Loto National en 1978. Cette entreprise publique est détenue à 72 % par l’état français et a le monopole sur le Loto, les jeux de grattage et les paris sportifs en points de vente. Les offres de la FDJ sont celles qui ont connu la plus forte progression entre 2000 et 2012 : + 59 % en valeur. En 2013, la FDJ a annoncé un chiffre d'affaires en hausse, à 12,35 milliards d'euros. Il faut bien avouer qu’elle a su faire preuve d’imagination : Loto, Super Loto, EuroMillion, Keno, Rapido, Astro, Bingo… on ne compte plus ses offres proposées à grand renfort de nombreuses publicités !
Pour la FDJ, la répartition des mises entre les gagnants, les divers prélèvements sur les jeux et les frais d'organisation des jeux de loterie sont fixés par arrêté ministériel. Le solde est reversé à l'État. Les prélèvements obligatoires représentent 12 % des mises et 56 % du PBJ. Le taux de taxation du PBJ (4 290 millions d'euros en 2012) est donc de 67 % pour la FDJ… qui affiche une rentabilité faible de 3 %, du fait de sa fiscalité élevée.
Les informations conjoncturelles publiées en janvier 2014 indiquent que l’année 2013 devrait voir un recul de 0,8 % en valeur du PBJ pour l’ensemble des acteurs concernés. Celui de la FDJ progresse d'à peine 0,4 %, et les hausses des mises de 1,8 % ont bénéficié aux joueurs dont les gains ont progressé de 2,5 %.
Le PMU
Les produits du PMU (Pari Mutuel Urbain) ont également connu une progression, plus 50 % en valeur. Créé en 1930, le PMU regroupe actuellement 58 sociétés de courses et il est le seul opérateur autorisé à enregistrer des paris hippiques dans des points de vente à l'extérieur des hippodromes. Comme le PMU finance en grande partie la filière hippique, son taux de prélèvement est un peu plus bas (39 %) que celui des autres secteurs des jeux d’argent et sa rentabilité est relativement élevée (34 %).
En 2013, le PBJ du PMU a légèrement progressé (0,6 %), plus grâce à ses nouvelles activités que grâce aux paris hippiques qui doivent faire face à la concurrence des paris sportifs en ligne. En 2014, la tendance s’inverse et l’activité de paris hippiques doit faire face à une diminution significative autour de 12 %. Néanmoins, le montant total des mises pour le seul 1er trimestre 2014 avoisine toujours les 269 millions d’euros !
Les casinos
Les casinos eux, sont en pleine crise, du moins c’est ce qu’ils affirment. Après avoir progressé régulièrement entre 1998 et 2007, grâce à l’élargissement de leurs offres et au renouvellement de leurs machines à sous, ils ont subi de plein fouet la crise de 2008 et les nouvelles réglementations (contrôles d'identité obligatoires et interdiction de fumer). La concurrence des sites Internet est un moindre mal, puisque rappelons-le, les jeux de casino en ligne ne font pas partie de la loi sur les jeux d’argent de 2010 ! Jouer sur des sites de casino depuis le sol français reste donc totalement illégal…
Le taux de prélèvement pour les casinos en dur est de 54 % et ces sommes profitent aussi bien à l’État qu’aux communes qui les abritent. Les 197 casinos affichent un excédent de 18 % du PBJ (2 275 millions d'euros), mais ce même indicateur mesuré entre novembre 2012 et octobre 2013, serait en recul de 4,2 % par rapport aux 12 mois précédents. Pourtant dans ce secteur également, pas de quoi paniquer puisque les dépenses restent élevées : en 2012, après déduction des gains, les Français auront laissé dans les établissements de jeux plus de 2,27 milliards d'euros !
Les jeux en ligne
Quant au secteur des jeux en ligne, après deux ans d’existence légale en France, il ne dégage pas de bénéfices. Il faut dire aussi que le taux de prélèvement obligatoire est de 51 % pour les opérateurs en ligne agréés. En 2013, les Français ont misé 8,47 milliards d’euros (10 % de moins qu’en 2012) et ils auront perdu près de 686 millions d’euros… Cela représente donc quand même une mise moyenne de 130 euros par an et par habitant.
Il est intéressant de constater que l'autorisation de jouer légalement en ligne n'a pas modifié l'équilibre du secteur des jeux d'argent. L’engouement est très vite retombé et ceux-ci ne représentent que 7 % du marché total des jeux d’argent en 2012.
Leur PBJ a progressé de 3,6 % entre 2011 et 2012, puis il a chuté de 6 % entre les 3ème trimestres de 2012 et de 2013, surtout à cause du poker. Alors que les paris sportifs affichent + 19 %, les paris hippiques stagnent à + 0,4 % et les jeux de cercle (notamment le poker) perdent 13 %. Mais se pourrait-il que l’année 2014 annonce une embellie ? En effet au 1er trimestre, les paris sportifs ont atteint 254 millions d'euros soit une augmentation de 25 % par rapport à l’année précédente. L’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux en Ligne) constate que 60 % des paris sportifs concernent le football et que « les grands événements du calendrier, comme la Ligue des Champions ou les matches de Ligue 1 à fort enjeu, réunissent de plus en plus de joueurs sur les sites des opérateurs français agréés »
Les sociologues qui recherchaient un lien entre conjoncture difficile et augmentation des dépenses des Français consacrées aux jeux d’argent obtiennent donc la réponse suivante : Oui les Français sont joueurs, mais ils ne sont pas non plus déraisonnables. Les crises ne font pas exploser leurs dépenses ce qui signifie que les joueurs ne vont donc pas miser à tout prix pour tenter de remporter un gain exceptionnel qui compensera la baisse de leur pouvoir d’achat.
Mais la crise n’incite pas non plus les joueurs à réduire de manière drastique leur part de budget consacrée aux jeux d’argent, puisque seul un très léger recul de 0,1 % de leur budget jeu a été observé depuis 2008. Pour les joueurs, le hasard reste le hasard, personne n’est à l’abri d’une bonne surprise. La célèbre phrase « 100 % des gagnants ont tenté leur chance… » n’en semble donc que plus attrayante et véridique…
L'étude des jeux en ligne menée par l'ODJ
Voilà les principaux enseignements de l'étude réalisée par l'ODJ :
- 20,9 % des joueurs de poker en ligne fréquentent leur salle de jeu on line de façon quasi quotidienne (contre moins de 11 % pour les autres jeux en ligne agréés par l'ARJEL : paris sportits, turf, et jeux de grattage)
- 42,7 % des joueurs qui rejouent le font « pour se refaire », ce qui est un des signes de la dépendance
-25 % des joueurs de poker en ligne mise aussi dans des casinos en ligne illégaux (contre 8,5 % des turfistes et 4,5 % des parieurs sportifs)
Sans perspectives, ces chiffres peuvent sembler préoccupants. En réalité, s'il ne faut pas minimiser leur portée, il faut pousser l'analyse plus moins car le marché des jeux en ligne et des jeux d'argent en général est nettement plus complexe.
Quid des casinos en ligne non réglementés ?
D'abord, il faut s'intéresser à la question des sites de jeux en ligne illégaux. En France, en matière de jeux de casino, seul les salles de poker en ligne peuvent recevoir un agrément de l'ARJEL si elles remplissent certaines conditions.
Quand l'ODJ mène son enquête, il se focalise uniquement sur les jeux autorisés en France et donc, concernant les casinos, il va se limiter au poker.
Or les casinos en lignes illégaux proposent une multitude de jeux : black jack, roulette, machines à sous, baccara, backgammon, video poker, craps, bingo, keno.... La liste est longue !
Il devient alors complexe de déterminer quel jeu est susceptible d'avoir un fort impact chez les joueurs les plus fragiles. Par exemple, il est impossible de savoir si, comme c'est le cas dans les casinos de brique-et-mortier, les bandits manchots sont plus populaires que les tables de poker.
Il serait d'ailleurs étonnant que le jeu le plus addictif ne soit pas un jeu de pur hasard (machines à sous, loto, bingo, keno....). En effet, les jeux de stratégie ont tendance à rebuter les amateurs car ils demandent un apprentissage beaucoup plus long. Cette tendance se retrouve également sur le net : les rooms de poker sont de plus en plus désertées par les néophytes et les jeux de hasard font un carton sur les réseaux sociaux.
Pour assurer une meilleure protection des joueurs, il faudrait sans doute envisager d'élargir l'offre de jeux légale en France afin de contrôler ce qui se passe dans les salles de jeux. Mais pour l'instant, ce n'est pas d'actualité ! Comme souvent dans l'hexagone, chacun a une position tranchée et refuse d'envisager un compromis. Entre les anti-jeux et les casinotiers qui en réclament toujours plus, il est très difficile de trouver un terrain d'entente....
Le cas particulier des jeux sur les réseaux sociaux
En matière de jeux d'argent, la législation est parfois totalement irrationnelle ou beaucoup trop lente pour réguler efficacement les nouvelles pratiques qui se développent en ligne.
Prenons l'exemple des jeux sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, les applications qui proposent des jeux de casino prolifèrent et sont ouvertes à tous. Les mineurs, particulièrement présents sur ce réseau social, peuvent y accéder librement. Ils font même de la publicité pour leurs jeux favoris en invitant leurs amis à les rejoindre !
Mais comme il s'agit d'argent virtuel, personne n'y trouve rien à redire. Pourtant, dès le départ, le raisonnement est faussé car il est aussi possible de dépenser de l'argent réel avec ces applications virtuelles. Les joueurs qui s'inscrivent reçoivent en effet un certain nombre de jetons virtuels gratuits. Mais s'ils en veulent plus, il faut qu'ils sortent la carte bleue. Ils peuvent également être incités à acheter des objets virtuels. En revanche, ils ne gagneront jamais d'argent réel....
Les joueurs les plus fragiles peuvent donc tout à fait devenir accros aux jeux sur les réseaux sociaux, surtout qu'ils sont invités en permanence à relever des défis quotidiens, sans qu'il y ait le moindre contrôle.
Quitte à s'intéresser à la question de la dépendance, il faudrait donc se pencher sérieusement sur l'ensemble des jeux en ligne.
Les joueurs les plus accros ne sont pas en ligne
En France, il y a un paradoxe assez curieux : les casinos en ligne sont régulièrement pointés du doigt alors que la FDJ, entreprise publique, profite de conditions extrêmement favorables pour vendre des jeux partout en France. Sans le moindre contrôle !
Les casinotiers traditionnels ont mainte fois dénoncés ce traitement de faveur. Prenons un exemple. Si vous voulez allez miser 10 cts dans une machine à sous, vous devrez présenter une carte d'identité à l'entrée du casino.
Chez les buralistes en revanche, il n'y a rien qui vous empêche de dépenser tout votre argent dans des jeux de hasard (jeux de grattage, loto...). Il n'y aura aucun blocage, y compris si vous êtes théoriquement interdit de jeux.
Or il faut rappeler que 32 % des joueurs de la Française des Jeux jouent au moins une fois par semaine ! La transparence n'est même pas de mise concernant les chances de gagner : en 2014, l'ancien président de la FDJ a révélé que 3 livrets de tickets sur 4 ne comportent en réalité qu'un seul véritable ticket gagnant (voir ici : La Française des Jeux impliquée – Les Jeux de grattage truqués).
Alors oui, la FDJ vend sans doute moins en ligne que dans ses points de vente habituels, mais il faudrait quand même scruter à la loupe la façon dont les tickets sont vendus. Surtout que lorsqu'il y a un drame, la FDJ se contente de retirer l'agrément du buraliste, sans jamais avoir à se remettre en cause (voir ici).
En conclusion, quand on veut analyser (et soigner!) les problèmes liés à l'addiction aux jeux d'argent, il faut avoir un spectre de réflexion beaucoup plus large que les simples données brutes fournies par l'ODJ.